Benzine Cyprine

Je veux que ma différence compte, qu’elle produise du symbolique, Liana Borghi, 1989.

Benzine Cyprine est un documentaire au long cours (2014-2020) sur un gang de femmes du même nom. Il est aussi un symbole identitaire.

À l’initiative de ce projet était un besoin impérieux de répondre à un malaise existentiel autour du fait d’être de sexe féminin. C’était un sentiment d’impuissance qui sourdait en moi, attisé par des incidents routiniers et dégradants à l’encontre de mon sexe.
Comment évoquer l’insécurité consécutive à la convoitise du corps féminin souvent réduit à son potentiel érotisant ? Comment aborder les préconceptions qui tendent à maintenir le genre féminin comme vulnérable, infantile et dépréciable ? Comment remettre en question les stéréotypes moralisateurs sur celui-ci ? Comment rendre compte de cela en se gardant d’assener à la femme le statut de victime par nature ?

Ma réponse était de donner à voir une féminité flamboyante qui va à contre-sens des figures mièvres, complaisantes et hypersexuées de la femme, celles-là même qui saturaient les flux médiatiques des grands et petits écrans, de la presse ou encore de la publicité. Je me suis alors mise à photographier des symboles d’une identité féminine particulière qui inspire à la fois sensualité et virilité. Cette symbolique s’exprime à travers les instants de vies d’un gang de femmes, de leurs personnalités et de leurs attitudes. Car le groupe identitaire, à mon sens, offre la valorisation, le respect, la cohésion et la force de revendication en totale opposition au sentiment de vulnérabilité.

Les Benzine Cyprine sont ce cocktail explosif qui représente un désir d’accès à la jouissance et à l’émancipation en extériorisant son individualité de manière souveraine.
Elles démontrent que l’on peut trouver sa propre façon d’incarner son genre au delà des injonctions liées à son sexe. Mais de nos jours cette démarche est ni spontanée, ni innée. Elle se construit, elle s’influence.

C’est en connaissance de cause que j’ai voulu représenter les Benzine Cyprine de façon vendeuse telle une marque de genre. Ma façon d’imager ce concept de gang féminin a pour but de faire croire à leur existence. Le principe est de susciter l’engouement et la fierté à l’encontre de l’état d’esprit qu’elles représentent. Je valorise cette identité féminine par les mêmes procédés empruntés à l’advertising (esthétique aguicheuse, charte graphique, slogan, projection dans le réel…). C’est une attitude ironique de ma part qui suit les règles d’un monde où l’émotion retient plus l’attention que l’intellectualisation, où le divertissement obtient plus de fascination que le développement d’une pensée.
De ce fait, la fiction et son sensationnalisme ont aussi leur incidence dans notre façon d’imaginer notre avenir et de questionner le réel. Et quand il s’agit de transmettre une idée, la photographie a cet avantage d’être plus fulgurante que les mots.